Le vin de Champagne

à l'épreuve de l'occupation allemande 1940-1944

par Jean-Pierre HUSSON (extrait)

 

Trafic et marché noir autour du champagne

         Dans le contexte de pénurie et de rationnement qui prévalait alors, et compte tenu des convoitises qu'il exerçait sur les Allemands, le champagne a fait aussi l'objet d'un trafic d'une ampleur qu'on a du mal à mesurer.
         Le 13 mars 1945, à la direction générale du ministère de l'Économie, le directeur départemental du Contrôle économique présentait une évaluation des « transactions irrégulières pour compte allemand » qui situait le champagne à la première place, avec des transactions illicites portant sur deux millions de bouteilles évaluées à 200 millions de francs.
         Avec le dossier de Lucien Douvier, nous disposons d'une autre source qui permet de prendre la mesure des trafics de champagne avec l'occupant. Engagé comme interprète à la mairie de Reims, Douvier y fit la connaissance de l'officier allemand chargé du service du commerce, le docteur Martens. En juillet 1940, celui-ci lui confia la gérance d'un magasin installé Place de l'Hôtel de Ville et réservé exclusivement aux militaires allemands. À ce magasin spécialisé dans la vente de champagne, de cognac et de liqueurs, était annexé un petit commerce clandestin de bas de soie et d'articles en indémaillable tenu par Madame Douvier. Grâce à des bons de réquisition signés au départ par Otto Klaebisch, puis, selon des négociants en vin de champagne entendus comme témoins lors du procès Douvier, par le Bureau de répartition des vins de Champagne et, à partir de 1941, par le CIVC, ce trafiquant s'est fait livrer par les maisons de Reims, Rilly-la-Montagne et Ludes, pendant les quatre années qu'a duré l'Occupation, un minimum de 370 000 bouteilles de champagne, revendues à des soldats allemands en réalisant d'énormes bénéfices. Douvier fut condamné à mort en 1945, mais il y eut dans la Marne d'autres trafiquants petits et gros, qui ne furent guère inquiétés à la Libération, et qui surent rapidement se reconvertir dans le commerce avec les libérateurs américains.
         Il ne semble pas en tout cas que le chiffre de 2 millions de bouteilles avancé par le directeur départemental du Contrôle économique, en ce qui concerne le marché noir du champagne pendant l'occupation, soit exagéré.